1 - Les Ultras - Le développement du supportérisme ultra en France
- rojhilatdogan
- 5 févr.
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Dernière mise à jour : 26 mars
Les supporters de football, au sens large, deviennent un objet de réflexion pour les chercheurs issus des sciences sociales dans les années 1970 lorsque le supportérisme émerge en Europe. En effet, la figure du supporter tend à recouvrir petit à petit celle du simple spectateur, les tribunes des stades se colorent (écharpes, drapeaux...) et les supporters les plus passionnés s’emparent également de leur propre territoire : les ultras. En France, il faut attendre l’apparition des hooligans avant que la thématique du supportérisme ne soit abordée sous le prisme de la violence, avec notamment Patrick Mignon qui publie ses premières recherches en 1994. Par conséquent, de plus profondes études sont effectuées sur le supportérisme. Et c’est à cette époque que se popularise la notion de supportérisme, que j’entends désigner comme l’ensemble des activités déployées collectivement en vue de soutenir un club. On commence alors à se demander qui sont les supporters de football et quel sens donner à leurs activités de soutien. L’objectif sera donc d’étudier les différents types de supporters présents dans un stade, pour bien comprendre le développement du supportérisme ultra en France.

Une typologie des supporters de football
Pour commencer, il semble nécessaire pour les dirigeants de clubs, les gouvernements et les fédérations de bien comprendre la nature même des supporters. Dans le stade, la foule chante avec les mêmes voix, les supporters portent les mêmes couleurs mais il existe en fait plusieurs parties bien distinctes. De nombreux auteurs ont tenté de proposer une certaine définition ou classification des supporters et des spectateurs, mais très peu soulignent la différence entre les deux. Wann et Branscombe (1994) établissent une distinction entre les « Die Hard Fans », dont l'attachement à l'équipe reste fort au fil du temps malgré les résultats, et les « Fair-weather Fans », qui ne soutiennent l'équipe que lorsqu'elle a gagné. En 2001, Funk et James ont proposé un « modèle de continuum psychologique ». Ce modèle comprend 4 niveaux : le niveau de conscience, le niveau d'attraction, le niveau d'attachement et le niveau d'allégeance. L'individu commence par prendre conscience de l'existence de l'équipe, en général avant l’adolescence. Il reconnaît ensuite une certaine préférence pour cette dernière et devient progressivement un fan inconditionnel, qui perdure dans le temps. En France, Nicolas Hourcade propose également une définition du supportérisme au sens large et définit une première typologie de supporters en 1998.
Cette étude préliminaire nous permet aisément de différencier quatre différents types de supporters de football :
· Le spectateur se rend au stade pour regarder un match et profiter du spectacle proposé par les joueurs. Même s’il a une préférence pour une équipe, son plaisir passe avant tout par le fait de commenter et d’applaudir le match avec ses amis et/ou sa famille. Il est ainsi très rare de voir un spectateur en colère ou déçu dans un stade, un sentiment de positivité l’anime plus que tout. Au stade, le confort est un critère que le spectateur place au premier plan, avec un positionnement en tribune latérale pour être loin de tous supporters définis dans un groupe. Cette neutralité s’observe aussi dans le style vestimentaire : aucun signe d’appartenance (peut-être une écharpe) n’est visible, l’habillement s’avère peu différent d’une tenue classique quotidienne.
· Le supporter traditionnel lui porte plus d’intérêt à l’aspect sportif et au jeu produit par son équipe. Son équipe doit gagner pour que son plaisir soit atteint, et avec la manière dans l’idéal. Les encouragements sont également plus nombreux et les applaudissements plus réguliers. Également positionné en tribunes latérales, le supporter reprend les chants des ultras pour participer à ce folklore malgré une distance avec le Kop, qui est plutôt installé en virage. Le corps vit plus le match et est investi émotionnellement du début à la fin de la rencontre. Les supporters sont donc plus sensibles au déroulement du match et peuvent se montrer sévères avec les joueurs si un résultat est négatif. Malgré tout, la violence (physique, verbale ou morale) ne sera jamais atteinte.
· Les ultras sont situés en virage dans le stade et suivent le match debout. Leur investissement émotionnel est encore plus intense que les supporters traditionnels et cela se voit par les chants, les tifos et les banderoles. Les ultras sont très passionnés et renforcent leur fidélité par des déplacements réguliers pour soutenir l’équipe quelle que soit la distance. Leur organisation est beaucoup plus importante, et certains d’entre eux ont même une relation directe avec les dirigeants du club. Par conséquent, certaines décisions sportives peuvent être contestées par les ultras ce qui peut donner lieu à des désaccords entre les deux parties. Être un ultra signifie être engagé dans la vie du club, analyser les décisions prises par les dirigeants et exprimer les désaccords dans les tribunes par des chants ou des banderoles. Le stade représente donc le lieu de ce rapport de force.
· Les hooligans ont des pratiques plus virulentes, voire parfois dangereuses. Historiquement, ils ne sont pas connus pour apporter de la passion ou de la ferveur comme les ultras mais de la violence aux abords du stade. En France, cette culture importée d’Angleterre, se développe principalement dans le Nord. À partir de la fin des années 1970, ils sont parfois appelés « casuals », nom donné aux hooligans anglais qui cherchent à se dissimuler le plus possible pour ne pas être reconnus par la police. En Belgique et aux Pays-Bas, les hooligans sont appelés « siders ». Les hooligans ne portent pas d’insigne traditionnel du club pour être plus discret. Ils ont des valeurs comme le sens de l'honneur, la valorisation de la force physique, le culte de la solidarité interne et la défense du territoire (périmètre urbain, abords du stade et tribune du stade notamment) comme l'explique Nicolas Hourcade dans Hooliganisme : un phénomène pluriel (2015).
Nous observons de nombreux points en commun entre les deux dernières catégories (les ultras et les hooligans). En effet, pendant très longtemps, les ultras étaient considérés comme des hooligans, mais des nuances sont à apporter entre les deux groupes.
L’amalgame entre ultras et hooligans
Les hooligans représentent les premiers supporters violents dans l’histoire du football. En France, les supporters du Havre (1932) et du Red Star (1967) commettent les premiers actes de violence. Ce phénomène s’accentue surtout en Angleterre dans les années 1970 avec l’apparition de gangs qui s’organisent notamment autour de 2 clubs : West Ham (Inter City Firm) et Manchester United (Red Army). Comment pourrait-on expliquer cette violence de la part des hooligans ? Jusqu’aux années 1980, l’augmentation de la violence dans le football a coïncidé avec l’influence grandissante de l’argent dans ce sport. En Angleterre, l’un des facteurs clés du développement de l’hooliganisme a été la cotation en bourse des clubs. Les supporters de longue date, ceux qui suivaient leur équipe sans jamais manquer un match, ont commencé à percevoir l'impact de leur présence sur la performance de l’équipe et les résultats. La violence est associée à la classe ouvrière dure et pourrait également s'expliquer par leur volonté de défendre à tout prix le football comme un sport populaire, et d’empêcher qu’il soit dépossédé au profit des classes plus privilégiées. Ainsi, différents groupes ont émergé, mais avec eux sont arrivées des dérives violentes. Contrairement aux ultras, les hooligans se désintéressent donc des événements ou des groupes organisés, qu'ils jugent trop hiérarchisés et manquant d'indépendance. Les « hools » se distinguent par une jeunesse plus violente et une forte méfiance envers toute forme d’autorité. C’est pourquoi ils refusent toute affiliation officielle, contrairement aux ultras. Enfin, on remarque chez eux une propension à organiser des affrontements, indépendamment du contexte sportif ou du résultat du match. En effet, dans la majorité des cas de violence entre hooligans, l’aspect sportif est largement ignoré, car ce groupe accorde peu de valeur aux performances de leur équipe. Le drame du Heysel en 1985 est l’un des pires épisodes : lors de la finale de la Coupe d’Europe entre Liverpool et la Juventus à Bruxelles, des hooligans anglais causent des mouvements de foule entraînant la mort de 39 personnes. Cet évènement conduit à l’exclusion des clubs anglais des compétitions européennes pendant 5 ans.
Les ultras espèrent créer une image différente pour changer la perception des gens. Par rapport aux hooligans, les supporters ultras sont bien organisés et disposent d'une structure au sein de l'organisation qui permet l'action ou l'animation dans les tribunes du stade. Il existe une économie collaborative au sein de l'association, régie par la loi de 1901. Si les hooligans gardent une image sociale très négative et restent minoritaires, les ultras sont plus connus et acceptés dans l’écosystème du football. Ainsi, le célèbre slogan « Tous ensemble » appartient au répertoire « ultra ». Importé d'Italie et adopté par les supporters français, il a été repris par un groupe de rock puis lors de manifestations étudiantes, il est depuis devenu très populaire. Les Ultras et les Hooligans sont passionnés par leur club, mais aussi et peut-être surtout par ce qu'ils sont. Il y a un désir de revendiquer leur identité de la part de ces deux groupes. D'une part, les Ultras revendiquent ce qu'ils veulent pour l'équipe : il peut s'agir de la gestion de l'équipe ou des personnes qu'ils veulent voir dans le stade ou dans l’équipe. D'autre part, les hooligans sont exclusivement impliqués dans les combats contre les autres équipes, comme l'expliquent Dominique Bodin, Luc Robène et Stéphane Héas dans Le Hooliganisme entre genèse et modernité. Mais la violence existe aussi chez les ultras. Récemment, en octobre 2024, deux groupes lyonnais se sont affrontés (les Six-Neuf Pirates et les Lyon 1950), il est très rare de voir deux groupes différents d’une même équipe s’affronter mais à Lyon des opinions politiques ont mené à des violences. Ce type de conflit nous amène à réfléchir sur la définition des ultras.
Qui sont les ultras ?
Entre les années 1920 et 1960, le public du football se distingue par une certaine uniformité, où la figure du spectateur devient la norme. Né en Angleterre au XIXe siècle, sous l'ère victorienne, le football se répand rapidement à l’échelle mondiale et se structure autour de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), fondée en 1904. Après la Première Guerre mondiale, il est déjà perçu comme un véritable spectacle populaire dans de nombreux pays. Des événements marquants, comme la finale de la Coupe d'Angleterre de 1923, qui coïncide avec l’ouverture du stade de Wembley, rassemblent des foules colossales, avec environ 160 000 spectateurs présents dans les tribunes. Par la suite, dans les années 1970, les choses tendent à évoluer dans un contexte où la concurrence de nouveaux loisirs entraîne une chute des affluences dans les stades, laissant le champ libre à l’arrivée de nouveaux publics plus jeunes et plus dynamiques. L'entrée de ce nouveau public coïncide également avec la professionnalisation du football, dont les institutions vont de plus en plus chercher à attirer les supporters. Les quelques associations de supporters créées à cette époque ont pour principal objectif d'établir des liens de sociabilité entre leurs membres tout en aidant les clubs dans des missions ponctuelles mais responsabilisantes, comme la tenue de la buvette ou le contrôle des billets à l'entrée des stades. Dans Le culte de la performance, Alain Ehrenberg propose en 1986, une approche sociétale du développement des groupes ultras. Selon lui, il existe un déclin des solidarités traditionnelles, une hausse du consumérisme et une crise économique qui se traduisent par une volonté des jeunes d’appartenir à un groupe fortement identifié. Avec une médiatisation de plus en plus importante, le rôle de supporter offrirait une opportunité d’éprouver le sentiment d’être acteur. Ainsi, deux facteurs concomitants ont favorisé l’essor des ultras. Premièrement, la jeunesse tend à prendre une forme d’indépendance de l’autorité paternaliste et se met à bâtir ses propres schèmes culturels. Ensuite, le principe de la cohésion de groupe est importé dans les stades sur le modèle des mouvances politiques plutôt extrêmes.
Par conséquent, depuis les années 1980, de nouveaux groupes de supporters sont apparus dans les stades français, largement inspirés des supporters italiens. Les associations ultras sont apparues dans les grandes villes de France :
· Olympique de Marseille - le Commando Ultra 84 (1984) est considéré comme le premier groupe ultra en France et l’un des plus influents, il s’inspire essentiellement du modèle italien.
· Paris Saint-Germain – dans le virage Auteuil plusieurs groupes ultras se développent avec les Supras Auteuil (1991) ou les Lutèce Falco (1991)
· AS Saint-Etienne – les Magic Fans (1991) et les Green Angels (1992)
Ces supporters représentent en quelque sorte un modèle des tifosis italiens, que l'ethnologue Christian Bromberger a analysé. « Le mot italien tifoso (supporter) traduit cette violence des sensations corporelles ; il est dérivé de tifo (soutien) qui désigne à l'origine le typhus, maladie contagieuse, comme on le sait, dont l'une des variantes se caractérise par une fièvre intense et une agitation nerveuse ». Les supporters portent donc, dans leur nom même, l'éthique de l'ultra. Le terme « ultras » sera ensuite repris par d'autres groupes de jeunes supporters jusqu'à devenir le « terme générique pour désigner cette forme de supportérisme ». Par la suite, différents kops au sein d’un même club se développeront : Au PSG, il y a le « Virage Auteuil » et « Boulogne » ; à l'Olympique Lyonnais, il y a les « Bad Gones » et « Lyon 1950 ». En France, l'Olympique de Marseille et le Racing Club de Lens ont les kops les plus célèbres et les plus fervents de France.
Depuis plusieurs années, les clubs professionnels français relèvent le défi de lutter contre la violence des Ultras dans leurs tribunes. En mai 2010, suite à de graves incidents commis par des groupes de supporters du PSG et au décès d'un jeune supporter du Paris Saint-Germain le 18 mai 2010, Robin Leproux a publié un plan de réorganisation des tribunes du Parc des Princes annonçant notamment la suppression des abonnements annuels pour les supporters des tribunes Auteuil et Boulogne. Ce plan vise principalement à éradiquer la violence autour du stade parisien.
Depuis le retour des supporters dans les stades après le Covid, nous observons une violence toujours aussi présente dans les stades avec des évènements dramatiques :
Olympique de Marseille vs Olympique Lyonnais – le 29 octobre 2023 : affrontement entre les deux parties une heure avant le début du match. Les supporters de l'OL commettent des actes racistes dans le stade et les supporters de l'OM ont gravement blessé l'ex-entraîneur de Lyon, Fabio Grosso. Une étape importante semble avoir été franchie ce jour-là. Le bus de l'OL a été caillassé, les vitres brisées, et surtout, l'entraîneur lyonnais Fabio Grosso s'est retrouvé avec 12 points de suture au visage, ce qui a conduit les médecins à lui prescrire 30 jours d'arrêt de travail.
Montpellier vs Brest - le 26 novembre 2023 : des supporters montpelliérains ont attaqué le bus de l'équipe bretonne juste après le match.
Nantes vs Nice – le 3 décembre 2023 : l'événement le plus dramatique - un mort 2 heures avant le match. Un supporter et membre du groupe Ultras de Nantes (Brigade Loire) a été poignardé près du stade. Maxime Leroy, âgée de 31 ans, est victime d'un arrêt cardio-vasculaire, il est transporté à l'hôpital dans un état critique et décède quelques heures après son hospitalisation.
Des efforts plus que considérables restent à faire pour résoudre tous les problèmes liés à la violence dans les stades et aux abords des stades. Les clubs français sont en quête de crédibilité auprès des ligues internationales, des clubs européens, et surtout auprès du public français. Les évènements dramatiques ne font qu’augmenter, les dirigeants des clubs français doivent prendre des décisions radicales avec le soutien du gouvernement si nécessaire. Dans la partie 2, notre sujet sera donc d'étudier le rôle des institutions dans la violence des ultras, ainsi que les formes et les causes de la violence chez les supporters…
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