2 - Les Ultras - La violence chez les supporters Ultras en Ligue 1
- rojhilatdogan
- 25 mars
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Dernière mise à jour : 26 mars

Les formes de violence
Premièrement, il convient d’aborder le sujet de la violence intentionnelle. La violence naît de la logique de la compétition et du défi. En effet, il s'agit d'être meilleur que ses adversaires et de prouver sa supériorité : l'opposition ultime entre « eux » et « nous », la construction du moi par le rejet des autres fans. C'est ainsi que l'on déterminera finalement qui est le plus fort. La victoire sur l’autre passe par le fait de le faire fuir : lors de combats organisés, l'occasion est d'expérimenter la puissance d'une équipe et sa cohésion. Le plaisir de la violence auquel se réfèrent de nombreux « Ultras » provient d'un sentiment de puissance. La violence fait partie des habitudes des ultras (et d'ailleurs des hooligans aussi). Les ultras, même ceux qui ne sont pas très attirés par la violence, la reconnaissent généralement. Cependant, tous les ultras ne sont pas violents, pour un nombre important d'entre eux, la violence n'est qu'exceptionnelle, elle est imposée par les circonstances : « il faut en passer par là » pour que le groupe soit respecté. La violence est alors acceptée (et ils aiment s'en souvenir), si elle est rare. Mais, même chez ceux qui se revendiquent ultras, la fascination pour la violence n'implique pas des passages à l'acte fréquents ; certains aiment surtout se retrouver « là où c'est chaud ». D'autres, au contraire, vont jusqu'au bout de leurs intentions et critiquent ouvertement ceux qui « ne font que regarder » ou qui « ne participent pas » en lançant des projectiles. La fréquence et la nature des actes violents varient d'un individu à l'autre, d'un groupe à l'autre. La pratique s'éloigne parfois du discours : la violence est censée respecter certaines règles. Pourtant, si cela les arrange, les « ultras » n'hésitent pas à s'en affranchir. Entre la forte solidarité interne qu'ils affichent et la réalité des relations interpersonnelles, il y a parfois des différences notables. Le monde des « ultras » est un monde de justification : il s'agit pour eux de montrer que leurs actions sont acceptables, qu'elles sont conformes à ce que l'on attend d'un « ultra».
Ensuite, nous identifions la violence spontanée qui existe depuis les débuts du football. Inattendue et occasionnelle, elle est provoquée par une défaite, une erreur d'arbitrage, des incidents de jeu, une provocation, une rencontre fortuite entre supporters adverses. Majoritairement, les violences dans le football amateur en France sont spontanées, même si des conflits récurrents entre certains clubs, municipalités ou quartiers conduisent parfois à des incidents plus prémédités. Dans ces cas, les formes de violence sportive s'apparentent à celles qui se produisent en dehors du monde du football dans les zones concernées (villages, banlieues, etc.). En revanche, dans le football professionnel, la violence est aujourd'hui principalement préméditée. La violence spontanée existe aussi, mais les principaux incidents sont provoqués par des groupes de supporters extrêmes, régulièrement violents, qui se font appeler ultras (ou hooligans). Leur violence prend également des formes diverses ; elle est notamment plus ou moins organisée. Le film Hooligan (Lexi Alexander, 2006) montre très bien ce phénomène de combats organisés entre différents groupes de hooligans en Angleterre. En outre, la stigmatisation des hooligans masque la diversité des supporters violents, qui sont principalement de deux types. Ceux qui se définissent comme hooligans ou indépendants sont focalisés sur la recherche de la violence contre leurs adversaires ou la police : ils sont peu nombreux en France en dehors de Paris. Les ultras acceptent l'usage de la violence pour « être entendus » par les dirigeants ou « être respectés » par les supporters adverses, contrairement aux hools, ce n’est pas leur préoccupation principale. Ainsi, les ultras ont tendance à refuser les combats organisés. Pour les ultras, la violence est d'autant plus marginale qu'elle est rare et ne concerne que les plus impliqués. Les hools sont avant tout à la recherche d'émotions fortes tandis que les ultras cherchent également à construire une cause, dans la logique d'un mouvement social (Mignon, 2007). Les ultras ont des revendications concernant la politique de leur club et le monde du football : ils prétendent défendre le football populaire contre les dérives du football business et lutter contre la répression qui s'exercerait à leur encontre. Ainsi, les ultras se caractérisent par leur ambivalence : ils veulent être considérés comme des interlocuteurs responsables tout en restant rebelles. Ils sont donc tantôt loués pour la qualité de l'ambiance qu'ils créent, tantôt critiqués pour les incidents qu'ils provoquent. D’autant plus que ces dernières années, nous assistons à une plus grande rivalité entre les clubs de ligue 1.
Une rivalité croissante entre les clubs de ligue 1
En Ligue 1, on observe une rivalité croissante entre les clubs, depuis la fin des années 1960, une violence préméditée s'est développée (et plus ou moins organisée selon les cas), largement indépendante des événements sportifs. Même si C. Bromberger oppose les ultras, en tant que groupes constitués ayant recours à une violence ponctuelle, et les bandes de hools pour qui l'événement sportif ne serait qu'un prétexte à l'affrontement violent, les ultras ont également eu recours à des violences préméditées. De fréquents incidents entre ultras marseillais et lyonnais ont montré une violence indépendante aux matchs et parfois en dehors d'une rencontre entre leurs équipes respectives. L’incident le plus grave s'est produit en octobre 2023, à Marseille. Plusieurs supporters marseillais ont caillassé le bus des joueurs de l'Olympique Lyonnais, alors qu'ils se rendaient au stade, une heure avant le match. L'ancien entraîneur Fabio Grosso a été directement touché et blessé au visage lors de l'attaque. De leur côté, les supporters de l'OL ont proféré des signes nazis aux supporters marseillais dans le stade. Les scènes ont été terrifiantes pour tous les spectateurs de l'avant-match et les autres supporters présents dans le stade. Bien évidemment, l'arbitre a décidé d'annuler le match pour faire retomber la tension et sanctionner les fauteurs de troubles. Mais comment expliquer une telle violence ? La Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), rattachée au ministère de l'Intérieur, effectue un suivi régulier et produit des rapports sur les troubles à l'ordre public et les interpellations lors des matches de Ligue 1 et de Ligue 2. Ces études révèlent une tendance : « En termes d'interpellations, on constate une augmentation globale de 15%, toutes infractions et toutes compétitions confondues », explique Thibaut Delaunay, responsable de l'instance. Soit 878 interpellations sur l'exercice 2022-2023, contre 743 l'année précédente. Selon Bérangère Ginhoux, « les deux domaines où les interpellations augmentent le plus sont la pyrotechnie et les violences, qui sont aussi les deux domaines où nous constatons le plus d'incidents ». Tous ces incidents nous amènent à repenser la sécurité dans les stades en France.
La sécurité est-elle assurée dans le football ?
En juillet 1992, après le drame de Furiani et l'effondrement d'une tribune du stade de Bastia ayant coûté la vie à 18 personnes, une loi impose l'homologation par l'État des enceintes sportives de plein air dépassant les 3 000 spectateurs et le passage d'une commission de sécurité avant toute ouverture d'une structure temporaire. En 1995, la loi Pasqua clarifie les responsabilités. Les organisateurs de l'événement sportif doivent gérer l'intérieur du stade, et donc recourir à des forces de sécurité privées. L'autorité publique conserve la responsabilité de l'extérieur, policiers et gendarmes pouvant néanmoins intervenir dans l'enceinte, à la demande des organisateurs, en appui des « stewards », qui ont été autorisés, par une loi de 2003, à effectuer des palpations de sécurité sous le contrôle d'officiers de police judiciaire. Les obligations légales des organisateurs sont complétées par les exigences des autorités sportives. Ainsi, la Ligue de football professionnel (LFP) impose aux clubs un contrôle de sécurité à l'entrée du stade, des sièges numérotés, une séparation des publics visiteurs, un système de vidéosurveillance… Le règlement intérieur des stades fixe de nombreuses interdictions pour les spectateurs, et une liste importante d'objets refusés à l'entrée car considérés comme potentiellement dangereux est impressionnante. Du point de vue de la sécurité, sont considérées comme « préventives » les mesures visant à empêcher la survenue d'incidents : interdictions de stade, adaptation du dispositif de sécurité, renseignement policier, rénovation des stades, etc. La prévention sociale, en revanche, est peu développée en France : les pouvoirs publics la délèguent largement aux autorités sportives qui, par l'intermédiaire de leur commission de sécurité et d'animation des stades, fixent un cadre et des recommandations que les clubs appliquent à leur manière. Si la mise en place d'un « responsable sécurité » puis d'un « responsable supporters » dans les clubs s'est généralisée, la qualité du dialogue entre le club, ses supporters et les autres acteurs locaux est très variable. Au niveau national, une fédération d'associations de supporters a été reconnue pendant quelques années par les autorités publiques et sportives, ce qui a conduit à la création d'une charte du supporter et de programmes d'éducation pour les jeunes supporters. Plusieurs clubs et associations de supporters poursuivent des actions d'éducation des « jeunes supporters citoyens », pour reprendre le nom d'une initiative toulousaine dont l'un des projets a été récompensé par le Prix européen des supporters de football 2010 pour l'action préventive.
En revanche, les tentatives de dialogue au niveau national avec les groupes de supporters les plus turbulents ont toutes échoué. En dehors des campagnes de communication contre la violence, le racisme et l'homophobie, il n'existe actuellement aucune véritable politique de prévention sociale du hooliganisme, ni aucun système local ou national de travail social avec les groupes de supporters radicaux. Cependant, l'idée que les clubs de football professionnels peuvent s'impliquer dans l'action sociale fait son chemin. Introduits en Angleterre en 1978 pour renforcer les liens entre le club et son environnement par le biais d'initiatives sociales, les programmes de « football dans la communauté » sont désormais bien établis dans le nord de l'Europe. Bien que beaucoup moins répandus en France, ils ont commencé à se développer dans les années 2000. Les différences entre l'Angleterre et la France en termes de mise en œuvre de programmes socio-éducatifs au sein des clubs s'expliquent par une moindre importance du football et des revenus des clubs dans notre pays, et surtout par la tradition anglaise d'action caritative et sociale basée sur l'initiative privée, moins répandue en France, où l'intérêt collectif relève principalement de l'État ; les prémices de l'affirmation du club professionnel comme référence de l'action socio-éducative sont également un signe du désengagement de l'État dans ce domaine.
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